Les Bonnes Intentions
Extrait du monologue de Madame de Riant

Ils n'y peuvent rien, les riches, ils n'y sont pour rien, ces pauvres: ce n'est pas de leur faute s'ils sont riches.
Tous, et les grosses fortunes de plus de cent millions encore moins.
Comme tout le monde, ils sont empruntés face à l'injustice qui frappe les pauvres — ceux qui sont pauvres. Qui ne le serait pas?

Nous le sommes tous: nous sommes tous les riches d'un plus pauvre. Seulement la richesse est une fatalité et ils n'y peuvent rien. Ils sont nés riches ou ils le sont devenus sans le vouloir. Personne n'a demandé à être riche.
Qui se souvient avoir voulu être riche? C'est un rêve de pauvres!... qui ne se réalise jamais. Heureusement ! On devient riche sans s'en apercevoir et lorsqu'on l'est devenu, il est trop tard…
Ils sont montrés du doigt comme des ogres immondes.
Mais personne ne voit que c'est grâce à eux que ce monde hypothéqué tourne sur lui-même.
On voudrait faire d'eux des privilégiés, alors qu’ils portent le poids du bien-être du monde sur leurs épaules.
Quel est ce monde impitoyable qui se pose en victime?
Quelle est cette injustice monstrueuse?
Nous profitons des riches et, en même temps, nous les blâmons pour oublier que nous vivons à leur crédit.
Ils ont droit à la reconnaissance de la culpabilité que nous leur faisons porter.
(…)


LUZERN

Ça n'est pas une ville, au contraire, Lucerne.
Y a le lac et ses ponts, des bateaux, des palaces,
Des feux rouges, des bus, des rues et des places
Comme à Genf ou Zürich et presque comme à Berne.

Mais tout y est factice et rien n'y est plus terne:
On ne fait qu'y passer, y manger une glace.
Même le Lucernois est tombé de l'espace: 
Il vit sur sa colline en homme des cavernes.

Sur les bords de la Reuss, des comptoirs périmés
Arnaquent des toutous et des pigeons primés,
Otages souriants de temps préhistoriques.

Moderne Laténium qui n'attend que sa crue
Pour sombrer corps et âme en putain pathétique
Lucerne se pavane et fait le pied de grue.